Abeille

Difficile d'aller plus loin dans la rê du Li Il. En ancien français le mot désignent l'abeille a réussi le tour de force de n'avoir plus qu'une seule lettre à sa disposition. Point de départ le latin apicula, dérivé de apis.

La transformation phonétique s'est opéré donnant les formes peu pratiques de if et de é.

É, malgré son atrophie, s'est répandu dans le Nord de la France. Il en subsiste encore quelques traces aux extrémités de ce territoire, dans l'île de Guernesey, dans le Bordelais-et en Suisse romande. Mais é,jugé trop fragile, allait engendrer des formes de substitution. Avette a fait son apparition en région angevine. Les poètes de La Pléiade dont Ronsard, l'utilisent fréquemment. Le lorrain, le franc-comtois, le suisse romand ont développé une forme mouchette, le franco-provençal, une aveille.

Pendant quelque temps, c'est la forme mouche à miel qui semble l'emporter. On passait d'un excès à l'autre: é manquait de chair, mouche à miel en avait à revendre. On l'utilise pourtant un peu partout, surtout au Nord. De son côté, le provençal propose abelha, le mot se répand, se transforme un peu en abueille, abeulles, et abeille. Il entre sous cette forme vers le XIVe siècle et fera lentement son chemin en éliminant progressivement tous les autres concurrents du Nord. L'é, trop concentré, avait enfin un remplaçant convenable.

De même les til, -ois, tor, sol, nef, eu, devenus squelettiques par suite de réductions phonétiques sauvages et risquant le mélange à chaque phrase, ont cédé la place aux tilleuls, visage, taureau, soleil, navet, aigu, mieux armés. Des grammairiens sont intervenus à plusieurs reprises et ont tiré le signal d'alarme, la langue s'acheminait vers une bouillie de monosyllabes.

Quelques lettres de plus permettaient aux mots de retrouver l'indépendance.

Abeille, la provençale, avec quatre voyelles ~t trois consonnes a pu réussir où l'é solitaire avait échoué.

Source : Daniel Brandy, Motamorphoses. L'histoire des mots, Paris, Casterman, 1986, p. 116-117.