Gris-gris 

Gris-gris

Le dictionnaire étymologique de Bloch-von Wartburg ne mentionne le terme à date ancienne que chez Labat (1728). Il cite en outre un curieux texte de 1569 - « Un diable nommé grigri se voit en Canada et en la Guinée ». Et de conclure : « On ne sait rien de plus sur ce mot ». Le dictionnaire de M. Dauzat n’apporte pas d’autre indication.

La phrase de 1569 a pour source, croyons-nous, un passage mal interprété des Singularitez de la France Antarctique, ouvrage publié par Thevet en 1557. Après avoir indiqué que les Brésiliens croient souvent être la proie d’un diable qu’ils appellent Aignan, le voyageur français indique que pareille chose se produit ait Canada et en Guinée

« Il aduient le semblable au Canada et en la Guinée, qu’ils sont, ainsi tormentez, dans les bois principalement, où ils ont plusieurs visions; et appellent en leur langage cest esprit, Grigri[1]. »

Cette rédaction n’est pas claire : elle permet de croire que ceux qui « appellent » sont les Canadiens et les Guinéens. C’est l’interprétation de l’auteur cité. Le sujet du verbe n’est sans doute, dans l’esprit de Thevet, que : les Guinéens; c’est du moins ce que paraît montrer une autre rédaction de la même remarque, qu’on peut lire dans la Cosmographie universelle (1575) du même Thevet.

... lesquels [fantasmes] usent de pareil traitement sur les pauures Mores idolastres de la Guinee, et sur tout par les boys, les effroyant auec des visions espouuentables, et les battant souuent, qu’ils nomment en leur langue Grigry[2] ».

Le terme grigri, esprit malfaisant, a été rapproché, avec réserve, par M. Mauny, des termes mandingues yiri-yiri « trembler » et gidgi-gidgi « tonnerre ». Il ne saurait, en tout cas, être considéré comme un mot français au XVIIe siècle.

Est-ce le même vocable que gris-gris « amulette constituée par un papier plié portant un verset du Coran ou une formule écrite en Arabe pour protéger celui qui le porte[3] » ?. Le passage du premier sens au second est au moins difficile. Nous signalerons toutefois une valeur qui pourrait être intermédiaire dans un texte de Beaulieu (1637 au plus tard) se rapportant à un voyage de 1619-1622 : on voit, dit-il, près des cabanes des noirs, à l’ancrage de Tagrin, sur le « Cap de Serlionne »,

« des petits marinouzets fort hideux en forme de diables ausquels ils font des oblations... Ils appellent lesdittes idolles grigris, mais ie croy que s’ont esté les François qui leur ont donné ce nom... [4]. »

Quoi qu’il en soit, voici les textes où nous avons rencontré le mot :

1637 : « Il y auoit autour de luy [un chef noir de Rufisque] grande quantité de Negres, n’ayans pour tous habits que de petits Calçons de toille de Coton, mais le reste de leur corps quasi tout couuert de Grisgris. » Alexis de Saint-Lo, Relation, p. 49. - [Le soldat catéchumène de là région de Rufisque] c mit aux pieds de l’Autel tous les gris gris qu’il auoit. Ce sont Carracteres que ses Marabouts luy auoyent baillez, apres auoir inuoqué le Sainet Esprit... ». Id., p. 198.

1643 : c Grigris sont petis morceaux de papier écrits. » Jannequin, Voyage de Lybie, p. 115. Singulier -. « grigris », id., id.

1668 : « elles avoient [les femmes d’un chef, près du Cap Vert] ... de petits pacquets qu’elles nomment gris ‘gris qui enferment des caractères Arabesques ecrits sur du papier. » Souchu de Rennefort, Relation, p. 20.

1673 : c [les habitants du Cap Vert] m’ont tous paru fort superstitieux, ayant mille petits morceaux d’etoffe pliez a leur façon, à qui ils attribuent beaucoup de vertu... ils ont donné le nom de gry gry à toutes ces bagatelles. :b Relation du voyage fait sur les côtes d’Afrique, anonyme, dans le recueil de Justel, p. 5.

1674 : « ils [les habitants de Rufisque] portent quantité de petits billets, qu’ils disent estre écrits par leur Marabou... Ils nomment ces petits pacquets Gris-gris. » Du Bois, Voyages, p. 14. - « Ces grisgris », id., p. 22.

Vers 1688 : « il leur fit a tous... un present... du papier dont ils font ,des gris gris ou caractères, qu’ils croyent être un preservatif c@ntre touttes sortes d’accidents. » Région : Sénégal. La Courbe, Premier voyage, p. 36.

1688 : « Les femmes de condition portent... de petits pacquets qu’elles nomment gris gris. » Région : le Cap Vert. Souchu de Rennefort, Histoire, p. 17.

1689 : c ils se chargent encore la teste de gris-gris, comme qui diroit de papillotes enchantées qu’ils prétendent les rendre invulnerables. » Région : Sénégal. Gabit, Relation, p. 57. Même forme pp. 42, 73, 74, 75.

1695 : « Leurs Maraboux qui ont quelquefois une legére teinture d’Arabe, écrivent leur Griz Griz en cette langue. » Région : Sénégal. Le Maire, Les voyages, p. 127. -- « Gris gris », plur., id., pp. 134 et 146.

« Ces Gris-gris », id., p. 147.

1698 : « ils portent au col... de petits sachets de cuir qu’ils appellent Grisgris, où ils enferment des passages de l’Alcoran. » Région Gorée. Froger, Relation, p. 18.

1701 : « du moins font-ils acheter à trés-grand prix des pactes écrits en caractères mystérieux, qu’ils appellent grisgris. » Lieu : Gorée. Lettre du P. de Tartre, recueillie dans les Lettres édifiantes, 1, 111, p. 46.

1714 : « Ces gris gris sont des billets, écrits en langue Arabe, mêlez de quelques figures Negromanciennes, que leur vendent bien cher les Maraboux, pour les préserver, disent-ils, les uns de la fièvre, les autres du chaud, les autres d’être tuez, ou noyez... » Région Rufisque. Loyer, Relation, p. 59. - Singulier : « gri gri », id., p. 61.

[1] Pp. 169-170.
[2] 11, f. 921.
[3] R. Mauny, Glossaire, p. 40.
[4] Mémoires, p. 2.
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